Tribune d'Olivier BAUD : "CO2 ou pouvoir d’achat, il va falloir choisir."

Tribune d’Olivier BAUD : « CO2 ou pouvoir d’achat, il va falloir choisir. »

2021-10-14
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Olivier BAUD
Ancien Président Aluminium Pechiney, Président et Fondateur d’Energy Pool

 

– Tribune – 
Seules des mesures très fortes et courageuses nous amèneront au résultat attendu

L’affaire est entendue : le CO2 fait souffrir notre planète et ce sera de pire en pire. Chaque rapport du GIEC constate un emballement pire que leurs prévisions précédentes ; chaque été apporte ses records de chaleur, d’incendies et d’inondations. Et chaque année, on nous annonce que le CO2 a monté plus que les objectifs et alors qu’il faut une baisse de 8%/an pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

L’écart entre les intentions et la réalité est considérable : la croissance planétaire annuelle moyenne du CO2 depuis 10 ans est de +1,5% alors qu’il faudrait une baisse de 7 à 8%/an pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Différence : 7 fois les émissions françaises chaque année. A ce rythme, limiter la hausse des températures à 1,5° est illusoire, il faut s’attendre à 2 ou 3° mais tout faire pour ne pas y arriver !

Nous souffrons, la dérive n’est pas sous contrôle, nous savons, nous avons plein de bonnes intentions, les technologies font des exploits, mais nous n’y arrivons pas. Où est le problème ?

Quelques exemples qui sous-tendent le diagnostic :

– Sur les 10 dernières années, la planète a dépensé environ 0,4% de son PIB (3 500Md$/an, soit # le PIB annuel de la France) pour le développement des énergies propres, et pourtant….

– La croissance naturelle de la population et du PIB génère 1,5% de CO2 en plus / an. Il ne faut donc pas mesurer l’effort au regard de la situation actuelle, mais au regard de cette tendance lourde. Le besoin d’énergie planétaire va augmenter de 50% d’ici 2050.

– Soyons modestes en France (pourtant un pays exemplaire) : nos émissions apparentes ont baissé de 20% en 20 ans. C’est essentiellement le fait des délocalisations d’industries qui se sont déplacées dans des zones où on génère 5 à 10 fois plus de CO2 pour produire la même chose ! A production identique, notre CO2 aurait augmenté malgré de vrais efforts.

– L’initiative louable du gouvernement de composer la Convention Citoyenne pour le climat a proposé 150 mesures. Finalement, malgré un travail considérable ayant bénéficié d’un soutien exceptionnel de l’exécutif, les membres de cette convention « jugent les réponses du gouvernement insuffisantes et parcellaires. Ils se disent déçus de voir une partie de leurs travaux délaissée »

Sauf à se contenter d’un déni inacceptable qui renvoie les solutions aux autres et à plus tard, la question est : « que faire et comment ? »

Les réponses de fond reposent sur quelques principes incontournables :

  1. La prise de conscience individuelle
  2. La solidarité et la prise de conscience collective
  3. L’acceptation d’un effort énorme
  4. L’honnêteté et le pragmatisme

 

Des recommandations universelles …et pour la France

La prise de conscience individuelle : les diagnostics ci-dessus doivent être connus, connus et connus et il faut aller autant que possible vers une mesure de NOTRE contribution individuelle : si un Français génère 8tCO2/an, comment progresse-t-on personnellement plutôt que de tout attendre des autres, de la technologie et du gouvernement ?

La solidarité et la prise de conscience collective : même si la France génère 0 CO2, le CO2 va continuer de monter au niveau de la planète. Alors quelles actions collectives ?

– La prise de conscience doit être courageuse et honnête : nous sommes en plein déni ou en pleine folie suicidaire si nous pensons encore que l’énergie, les matières premières et l’argent sont des ressources infinies. Nous consommons tous les 6 mois ce que la planète ne peut fournir qu’en 1 an. Les principales matières premières critiques ne tiendront pas jusqu’à la fin du siècle. Et nous ne pourrons pas infiniment continuer à faire croitre notre pouvoir d’achat contre toute réalité.

– 1€ investi dans les pays en développement ou émergents a beaucoup plus d’efficacité que chez nous : comment vendre nos savoir-faire, nos technologies. Comment soutenir un développement durable ?

– Les contraintes et le prix du CO2 doivent être planétaires. Mais commençons par les pays riches car il est indécent de demander à ceux qui n’ont rien de se pénaliser alors que nous avons généré du CO2 sans scrupules pour atteindre notre niveau de vie actuel.

– Les dépenses pour baisser le CO2 seront à prélever sur notre niveau de vie. Cela créera de l’emploi, mais pas du niveau de vie. C’est supportable pour ceux qui ont assez ; ce ne le sera pas pour ceux qui ont des problèmes pour acheter l’essentiel. Il n’y aura pas de solution sans solidarité énergétique.

L’acceptation d’un effort énorme : comme le dit Jean PISANY-FERRY « la transition énergétique va être brutale » Les efforts financiers doivent dépasser 3% du PIB (contre 0,3% actuellement rappelons-le); et nous devrons faire plus dans les pays riches….alors que la première revendication sociale de cette rentrée est le pouvoir d’achat.

Et les efforts financiers ne suffiront pas car les technologies ne feront pas tout. Sans « sobriété » donc : sans diminution de nos consommations, nous n’y arriverons pas. Appeler ça « décroissance » est l’expression maladroite de la chose. On peut avoir une belle croissance de notre bonheur de vivre sans augmentation du PIB ou alors un PIB fait d’autre chose que de matériaux et d’énergie, on doit accélérer les innovations à tous les niveaux : modes de vie, modes de consommation, inventions techniques etc…. Tout cela est passionnant sans qu’on ne revienne à l’âge de pierre.

Ce problème est central : les dépenses et la perte de pouvoir d’achat c’est aujourd’hui alors que les bénéfices seront dans 30 à 50 ans. De tels efforts sont très difficiles à accepter dans des démocraties qui vivent sur le temps court et ont du mal à faire accepter les efforts sur le temps long. La Chine réussit mieux, avec ses logiques de planification…ce n’est pas obligatoirement notre modèle politique.

De plus, avec le développement incontournable d’énergies renouvelables non pilotables, il faudra accepter des contraintes sur notre mode de consommation et sur les sécurités d’approvisionnement.

L’honnêteté et le pragmatisme : c’est probablement le point le plus difficile. Il est incroyable de constater comment un sujet aussi rationnel que « énergie et CO2 » peut générer autant de dogmes, de faux débats et donc de mauvaises décisions. A titre d’exemple, j’ai tenté d’écrire cet article avec des personnalités politiques et business connues. Les réactions sont toutes les mêmes : « c’est pas mal, mais ma direction, mon parti ne peut pas dire ça… ». Citons les principales confusions nocives :

– Le faux débat du nucléaire versus CO2

– La croyance religieuse est trop exclusive dans les technologies

– Le mensonge d’une écologie non punitive

– Les mauvais investissements à cause de lobbyistes trop influents et la complicité de nous tous car si la technologie peut faire, alors on n’aura pas d’efforts à fournir ; donc un gaspillage d’argent rare.

– Les dogmes et les intérêts particuliers trop influents, par exemple :

– Le dogme du renouvelable quel que soit le résultat réel.

– Le dogme du marché qui ne traite que du court terme et des coûts marginaux, absolument pas des optimisations globales de long terme.

– Le dogme de l’hydrogène que certains annoncent comme un carburant vert alors que ce n’est qu’un vecteur nécessaire, indispensable, mais coûteux et qui fait perdre de l’énergie de conversion et de stockage.

– Le pragmatisme impose de passer du charbon au gaz, puis du gaz gris au gaz vert etc…

Recommandations universelles :

– Osons dire que ce sera difficile: Il faut de la pédagogie, encore de la pédagogie sur les actions, plus sur le climat ; et une responsabilisation individuelle

– Il faut consommer moins. C’est une vraie révolution. Efficacité énergétique mais aussi sobriété.

– Il faut un prix élevé du CO2 et des méthodes communes de certification et d’évaluations des décisions majeures. Les grandes décisions politiques d’investissement doivent être publiquement priorisées sur l’efficacité CO2 de chaque € investi pour éviter les dogmes et les investissements inutiles. Les sanctions et évaluations politiques et financières doivent systématiquement intégrer le CO2

– Pour réussir, 50% de l’énergie finale (contre 17% actuellement) doit être électrique. Il faut donc électrifier les usages et impérativement développer et moderniser le nucléaire en base (Small and Modular Reactors : SMR, réduction des déchets…) en appui du développement des renouvelables non pilotables.

– Il faut une solidarité mondiale et nationale et aider les pays émergents et en développement à acquérir les meilleures technologies sans passer par nos anciennes méthodes

– Il faut agir maintenant: la structure de nos émissions de 2030 produira 90% du CO2 de 2050, la structure du monde de 2030 se décide maintenant

…Et pour la France ?

Un pays qui a l’une des meilleure performance CO2 du monde développé devrait d’abord en être fier, protéger son avantage et s’en servir dans la compétition internationale. Cette performance vient essentiellement de notre système électrique qui ne génère quasiment pas de CO2 et nous fait gagner 30% de CO2 par rapport à l’Allemagne par exemple. Alors tout va bien ? Non car, en tendanciel, il faut diviser notre empreinte CO2 (l’indicateur qui compte le solde import/export) par 6 à 8 en 30 ans alors qu’on a à peine réussi à stabiliser les émissions depuis 30 ans contrairement à toutes nos belles déclarations…

– C’est la perversité de marchés mal faits qui fait monter le prix de l’électricité violemment en 2021 à cause du prix du gaz et du CO2… alors que notre électricité n’a quasiment ni gaz ni CO2

– Il est stupide d’investir plus de 130 Md€ en 10 ans dans la PPE sur l’électricité pour ne quasi pas changer le niveau de CO2 alors que la même somme investie dans le logement baisserait le CO2 français de 20%

– Notre nucléaire est un atout, il faut lancer les nouvelles technologies de remplacement de toute urgence. Atout environnemental majeur.

– Il faut électrifier les usages car la France n’a que 24% de son énergie finale électrique

– Il faut rapatrier nos industries domestiques grosses consommatrices pour favoriser l’économie circulaire et baisser les émissions de CO2 mondiales (exemple de l’aluminium : 1 tonne d’aluminium produite en Chine génère 10 fois plus de CO2 que la même tonne produite avec de l’électricité française qui est pourtant excédentaire…. Sans compter son transport)

– La gouvernance politique doit être plus compétente, plus pédagogue, long terme et indépendante d’EDF…

 

Aidons nos responsables politiques à prendre des décisions courageuses car, si nous refusons les efforts, alors ils n’y pourront rien. C’est Maintenant !